Crise anglophone
“With all these dialogues, why is peace still so elusive?”
Par Marie-Roger Biloa
Du côté des autorités camerounaises, on ne manque pas d’énumérer les mesures prises pour répondre à la « crise anglophone » qui a marqué au fer rouge de la violence et du deuil des dizaines de milliers de familles, peuplé les camps de déplacés et les chemins de l’exil, anéanti d’indispensables infrastructures collectives. Parmi ces mesures figurent la création d’une commission nationale pour le bilinguisme, d’un plan temporaire d’assistance humanitaire aux victimes, d’un organisme de démobilisation et d’insertion des combattants, ainsi qu’un ensemble de dispositions sectorielles, dont l’introduction du « common law » anglo-saxon dans les filières éducatives, à l’université ou à l’école nationale d’administration et de magistrature. Le tout entériné par le Grand dialogue national de 2019 qui a réuni une partie des « modérés » de la cause séparatiste et lancé symboliquement le processus de réconciliation.
Tout est-il réglé pour autant ? Plus de cinq ans après le début des hostilités, force est de constater que les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, désormais désignées comme « NoSo », ne connaissent toujours pas la paix – et les femmes, victimes meurtries de tant de manières infâmes, le savent dans leur chair.
Qui d’autre qu’elles-mêmes pour appeler au sursaut ? Dans un élan massif et venues des quatre coins du pays, plus de 1500 femmes issues de tous les milieux et de toutes conditions ont convergé vers la capitale, fin juillet, dans une démarche inédite, pour faire entendre le même cri : « Assez ! Enough is enough! » La Convention nationale des femmes pour la paix au Cameroun, la toute première du genre, inclusive et solennelle, s’est donné les moyens de sa crédibilité en devenant un moment privilégié de parole pour les Camerounaises anglophones, qu’on n’avait sans doute jamais vues réunies en aussi grand nombre à Yaoundé. Au Palais des congrès, sur les hauteurs de la ville, des avocates côtoyaient des revendeuses du marché, les fameuses « Bayam Sellam », des paysannes et des enseignantes, des étudiantes, des participantes en fauteuil roulant, des infirmières et même des policières, dans le but de former « une alliance plus forte, plus audible et plus nombreuse que celle des hommes qui profitent de la guerre et des conflits ».
« Assez ! » a martelé l’écrivaine Djaili Amadou Amal, plusieurs fois primée et keynote speaker. « Nous devons tout faire, individuellement et toutes ensemble, pour que la paix revienne », a enjoint par message vidéo Chimamanda Ngozi Adichie, célébrité littéraire nigériane, révélant son attachement particulier au Cameroun où sa mère a grandi. Cheville ouvrière de cette rencontre historique, Nina Netzer, la représentante de la Fondation allemande Friedrich-Ebert-Stiftung, en pagne et foulard, a également une raison personnelle pour s’impliquer dans la résolution d’un conflit qui déchire son pays d’adoption ; elle est mariée à un Camerounais depuis ses années estudiantines en Allemagne. « Envoyer un signal fort que les femmes du Cameroun aspirent à la paix », pose-t-elle comme objectif, afin que « cet appel soit entendu partout au Cameroun, en Afrique, dans le monde, dans les couloirs de l’ONU, de l’Union africaine, de l’Union européenne… ». La plateforme mise sur pied pour la convention comptait 38 organisations de femmes et leurs réseaux.
« Nous, les femmes du Nord-ouest et Sud-ouest, avons découvert une nouvelle réalité quotidienne de souffrance et de deuil qui détruit nos familles, nos communes, nos villages. Nous réclamons des rôles stratégiques dans les négociations de paix pour nos régions », a clarifié d’entrée de jeu Yvonne Muma, du Mouvement des femmes camerounaises pour la paix (CAWOPEM). « Ne parlez plus pour nous. Mes sœurs, ne vous résignez pas en disant ”on va faire comment ? ”. Ce sont les femmes qui vont changer le narratif dans notre pays ». Comme ce fut le cas en Colombie où on leur reconnaît un rôle essentiel pour mettre fin à des décennies de guérilla. Venue spécialement de Bogota, Rosa Emilia Salamanca, du Collectif Femmes, paix et sécurité pour la réflexion et l’action, a livré du combat des Colombiennes un puissant témoignage.
Pourquoi donc le Cameroun est-il toujours en guerre avec une partie de ses ressortissants ? D’abord, parce qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et bien des remèdes préconisés sont peu ou pas appliqués. La décision d’accorder un statut spécial au NoSo n’a encore aucune traduction concrète dans les faits et pas plus que celle de diffuser largement l’offre gouvernementale d’amnistie aux combattants pour qu’ils rejoignent leurs communautés. Difficile, par ailleurs, de procéder à la reconstruction promise tant que perdurent les hostilités, et le très attendu dialogue avec les membres radicalisés de la diaspora reste une vue de l’esprit. Tout traîne en longueur et le comité de suivi des résolutions du Grand dialogue national ne s’est réuni que deux fois en deux ans. Du coup, de guerre lasse, certains pensent devoir réclamer une « arbitrage international » dont les décisions forcément tranchées pourraient tout juste aggraver les rancunes et préparer le lit de futurs litiges.
Enseignant-chercheur à l’université de Maroua, le Dr. Mbarkoutou Mahamat relève l’absence d’un préalable essentiel : un consensus politique sur la nature même du problème à résoudre. « En évitant de discuter des causes, on se contente de traiter les symptômes », analyse-t-il, non sans pointer les obstacles structurels, lorsqu’une des parties au conflit, le « système », contrôle 90% des instances de décisions (parlement, localités, etc.) et impose ses opinions et ses méthodes. « On aurait pu dissocier le système dominant du conflit et de ses solutions », préconise-t-il, pour permettre aux différentes parties de définir le canevas à suivre pour un véritable dialogue stratégique.
Mais alors comment faire s’il revient uniquement aux acteurs du conflit de s’amender eux-mêmes, parce que le troisième acteur, la société civile, n’a pas fait la démonstration de ses capacités politiques et techniques à influencer les camps établis ? Les communautés, les femmes, les chefs traditionnels, ceux qui sont dans la réalité de la crise, peuvent-ils être correctement impliqués, écoutés ?
« Il existe des perspectives de paix parce que le fardeau de la guerre est tout simplement écrasant », tranche Dr Akumah Hedwig Ngwa, enseignante au Département des femmes et des études de genre à l’université de Buea, tout en insistant sur le rôle crucial de « facilitateurs » extérieurs pour pallier l’impuissance du chaînon manquant qu’est la « société civile ». L’implication de la Fondation Friedrich Ebert est saluée.
« Let the people talk ! » – Aborder les sujets avec un souci de vérité, d’honnêteté et de responsabilité apparait incontournable. Arrêter les « discours de haine » et l’usage de « termes péjoratifs » pour désigner les compatriotes qui revendiquent leur part de respect et celle du « gâteau national ». La juste répartition des ressources au profit de tous a été évoquée parmi les solutions, mais avec moins d’insistance que le mépris dont bon nombre d’Anglophones se sentent victimes de la part de « ceux qui se croient supérieurs ».
Cet aspect psychologique, non quantifiable, reste sans doute le moins intégré dans le traitement gouvernemental d’une crise qui touche au sentiment d’appartenance d’une partie de la population ayant reçu l’anglais et ses attributs en héritage, bien malgré elle, tout autant que la majorité versée dans l’escarcelle francophone. Au final quelques principes sont affirmés pour améliorer le « dialogue stratégique ».
Sortir du carcan du maintien de l’ordre et du tout-répressif apparait une priorité. « L’option camerounaise semble s’éterniser dans l’option militaro-sécuritaire », constate le chercheur de Maroua. Avec son corollaire d’abus, d’accusations d’exactions et de violations des droits humains. On ne fera pas non plus l’économie de construire une vision commune du conflit, accordant ceux qui mettent en avant son caractère autochtone et ceux qui tiennent à l’internationaliser. Cette divergence fondamentale a longtemps rendu tout dialogue impossible.
Or aucune autre voie que le dialogue ne mène à une paix durable, certes en respectant des règles indispensables que Tembi Mavis Yeluma, anglophone de Bamenda et présidente de Femmes et Alliés pour la paix et la sécurité (WAPS), a tenu à rappeler dans une sorte de bréviaire. Loin d’une simple conversation, le dialogue stratégique suppose un échange sincère et honnête de « sentiments » entre les parties, où les idées arrêtées restent au vestiaire pour favoriser une approche nouvelle. Tout accord obtenu n’est que le début d’un processus de paix. Pas son aboutissement.
La « crise anglophone » a clairement dominé les débats, étant un « problème camerounais », à la différence du terrorisme de Boko Haram dans l’extrême Nord, également inscrit au programme, mais considéré comme un « problème au Cameroun », son origine se situant hors de ses frontières. L’action des djihadistes made in Nigeria a toutefois exacerbé des failles intercommunautaires et créé son lot de profiteurs de guerre.
Lue en fufuldé (peulh), en pidgin-english, en anglais et en français, la déclaration des femmes camerounaise venait comme « une pluie bienfaisante sur une terre asséchée », dans le texte : « a welcome shower on a scorched dry earth », selon la formule de l’empathique maître des cérémonies Norman Taku. Officiellement remise à la Ministre de la promotion de la femme et de la famille, Marie-Thérèse Obama Abena-Ondoa, la supplique des Camerounaises issues de toutes les régions du pays, représentées notamment par des victimes de viols et de tortures, se trouve désormais entre les mains du gouvernement.
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