« Ma vérité », Robert Mugabe, Président du Zimbabwe

« Ma vérité », Robert Mugabe, Président du Zimbabwe

Robert Mugabe répond ici aux questions du journal Africa International n°358-359 de novembre 2002. Le président du Zimbabwe, combattant père de l’indépendance, est au pouvoir depuis 1980. Le combat pour la redistribution juste des terres fait de lui, à chaque sommet africain ou international, « l’homme à abattre » des médias occidentaux et de certains médias africains qui leurs sont inféodés : « Mugabe le raciste, tortionnaire, dictateur… » ; Bref, celui qui avait été adulé par les mêmes médias occidentaux en 1979 au moment de Lancaster House, accord qui scellait l’indépendance du Zimbabwe, au point d’être érigé en « modèle de démocratie pour tous les africains » est aujourd’hui un dangereux pestiféré.

Interview par Marie-Roger Bila, Novembre 2002.

Africa International : Où en êtes vous avec votre réforme agraire ?

Robert Mugabe : Nous sommes arrivés au terme d’une étape importante. Le gouvernement a désormais achevé la mise en place des deux principaux volets du programme de répartition et de mise en valeur des terres. Le premier volet, appelé « A1 », concerne la subsistance des petits paysans les plus pauvres qui étaient confinés dans des zones surpeuplées et les « réserves autochtones ». Le gouvernement les a déplacés vers de nouvelles parcelles où ils peuvent bénéficier de douze hectares de terre et de pâturages communs pour le bétail. Le gouvernement y crée des infrastructures de vie et leur fournit du petit matériel agricole et de l’assistance par l’intermédiaire d’un organisme, Agritex. Le second volet, « A2 » est commercial. Vous pouvez être professeur d’université ou dans n’importe quel autre secteur ; il vous suffit de faire acte de candidature en exposant votre projet, les ressources et moyens financiers dont vous disposez en propre. Et nous avons reçu plus de 100.000 demandes de toutes sortes, émanant du plus bas au sommet de la hiérarchie sociale, qui sont traitées, contrairement aux accusations, sans discrimination. Après examen, près de la moitié relevaient en fait du volet « A1 ». Pour le reste, les demandes concernaient toutes les zones du pays, périurbaines ou rurales, que nous avons répertoriées, portant sur 100, 200 hectares, la superficie étant limitée à 2000 hectares dans les parties les plus fertiles ou celles classées réserves écologiques. Dans les zones plus sèches nécessitant l’irrigation et où l’on peut cultiver du coton, les règles sont très souples. Le Matabele Land, domaine des grands élevages et des ranchs, est la quatrième région. Ici, aucun des Blancs possédant une seule ferme dans les tailles réglementaires n’est inquiété, Aucun ! Les cris d’orfraie que vous entendez viennent des seuls qui refusent la réforme. Nous avons près de 4500 fermiers blancs. Seuls 1500 à 2000 d’entre eux n’acceptent pas le programme et c’est uniquement pour eux que Tony Blair et les Européens se font du souci… Combien de temps encore allons nous accepter cela en Afrique ? Voilà le programme de réforme agraire. Aucun fermier n’est laissé sans terre, je dis bien aucun. La propriété de certaines terres revient désormais à l’Etat, mais les fermiers blancs, en utilisant leurs propres ressources, peuvent les exploiter à leur guise et cultiver du thé, du tabac, des fruits, et même bénéficier de l’assistance gouvernementale pour ceux qui le souhaitent, en particulier à l’approche de la nouvelle saison. Ceux qui ont de l’eau dans leurs fermes s’en sortent particulièrement bien.

Cela dit, j’exclus les immenses exploitations dont certaines s’étendent sur 100.000 hectares. C’est le cas, par exemple, de Nick Oppenheimer à qui j’ai demandé de céder à la nation une partie de ses terres. Il a refusé… Vous voyez donc que nous avons adopté une approche particulièrement humaine et que nous recherchons une indispensable justice sociale.

Le problème des terres confisquées par les colons blancs dans la violence de la conquête de l’exRhodésie était en tête des revendications du « combattant de la liberté » que vous étiez. Comment se fait-il que vous ayez attendu plus de vingt ans après l’indépendance pour lancer cet immense chantier ?

R.M. : Mais nous nous sommes toujours préoccupés de la question et avons insisté qu’il fallait beaucoup d’argent ! Nous avons fait des efforts de notre côté, mais c’était insuffisant. Les Américains nous ont répondu que le contribuable américain ne comprendrait pas pourquoi il allait mettre de l’argent dans les poches de citoyens britanniques… Nous avons réussi à leur faire admettre qu’il s’agissait d’une réforme agraire fondamentale, à caractère national. Cette question a fait l’objet d’intenses négociations avant et après l’indépendance de notre pays survenu en 1980. Les Britanniques nous avaient promis des fonds par écrit, dans les Accords de Lancaster House qui promulguent l’indépendance du Zimbabwe. Ils n’en ont débloqué qu’une partie. 

Nous avons néanmoins commencé les relocations. Après un temps, ils ont estimé qu’ils avaient donné assez d’argent : nous n’en étions encore qu’à 75 000 paysans réinstallés. Aux Etats Unis, le régime avait changé avec l’avènement de Ronald Reagan et il nous a été répondu que nous ne méritions aucune aide parce que nous avions plus souvent voté du côté des Russes que des Américains ! Les voilà qui ne tenaient pas leur promesse. 

Robert Mugabe (en 2015).

A un moment donné, nous avons menacé les Britanniques de procéder à des expropriations par la force, s’ils continuaient à nous abreuver de mots sans rien de concret. Ils se sont alors mis d’accord pour un programme de financement dont plusieurs aspects nous convenaient. C’était sous le régime des Conservateurs. Je me souviens que cette année-là, j’ai abordé la question au sommet de l’OUA et présenté un mémorandum détaillant l’urgence. Quand Tony Blair du parti Labour (Travailliste) est arrivé au pouvoir, nous l’avons relancé. Il nous a été répondu que la politique des Conservateurs ne les engageait guère et que leur priorité était la réduction de la pauvreté mais pas la réforme agraire… La période coloniale étant révolue, ce n’est plus à eux de fixer nos priorités en nous envoyant balader ! Nous avons alors décidé d’agir en toute responsabilité.

Comment appréciez-vous l’attitude des pays africains face au bras de fer qui vous oppose désormais à Tony Blair ?

R.M. : L’Afrique nous soutient. Dans toutes nos rencontres, les Africains sont sensibles à notre combat, ils ont soutenu les élections chez nous et l’OUA a reconnu leur validité. Plusieurs voix africaines se sont élevées pour condamner les décisions du Parlement européen qui nous interdisent de voyager en Europe. Ils visent ma personne, mais ceci ne m’affecte pas beaucoup puisque que je n’y séjourne que rarement ; tout au plus en transit vers d’autres destinations dont l’Amérique. Je n’ai jamais passé mes vacances en Europe, mais toujours en Afrique… Nous avons besoin de la cohésion et de la solidarité de notre continent, à un moment où les ingérences dans les affaires intérieures nous infantilisent plus que jamais parce que nous sommes « pauvres ». Je me réjouis beaucoup de toutes les marques de soutien que je reçois ; notre cas montre qu’il est urgent que l’Union africaine s’affirme, que nos politiques et orientations propres soient opposables aux différents systèmes de domination. Nous devons penser, réfléchir comme des Africains, défendre nos propres intérêts, pas ceux des autres qui les défendent eux-mêmes très bien ! Il est vrai que nous avons tendance à nous laisser guider par d’autres en raison de notre dépendance envers l’Europe ; c’est à nous de leur rappeler la leur envers l’Afrique. Sans les dividendes provenant des anciennes colonies, l’économie britannique ne se porterait pas aussi bien. Au Zimbabwe, les entreprises les plus rentables sont britanniques ; Lonrho, Rio Tinto et le reste, qui puisent dans notre richesse. Et nous devons y mettre fin maintenant et leur dire : OK, au moins ce sera fifty-fifty, ou alors mieux vaut pratiquer directement le vol… Ils ne peuvent pas continuer de la sorte à nous exploiter. Nous cultivons le cacao qui fait leur chocolat, le thé qu’ils n’ont pas honte d’appeler « thé anglais » alors qu’aucune feuille de thé ne pousse chez eux, le bois, l’or et toutes sortes de minerais imaginables ! Que croyez-vous que les Britanniques recherchent en Sierra Leone ? La lutte contre la pauvreté ?

Il nous faut construire des solidarités. Voyez les pays qui possèdent du pétrole ; ils n’en tirent pas grand profit, certains ne touchent que 10% de ce qu’il rapporte et demeurent pauvres ! C’est terrible. Certains croient pouvoir imputer cette situation à un mauvais leadership et à la corruption qui existent aussi, mais le fond du problème est qu’ils récupèrent la part du lion de nos ressources. Et il faut y mettre fin.

Finalement, quelle issue voyez-vous à la crise aiguë que traversent vos relations avec le gouvernement de Tony Blair ?

R.M. : Il n’y a pas d’issue avec ce gouvernement de petits types ! Ils n’ont aucune expérience et ne savent pas raisonner ! Vous savez, nous avions de meilleurs interlocuteurs avec les Conservateurs ; ils se montraient mieux éduqués, plus au fait des réalités du monde et de la gestion des problèmes. Tout le contraire de Blair et de sa bande, qui se sont manifestés dès le début par des gaffes. Quand on vient de la rue et qu’on se retrouve à Downing Street (adresse du Premier ministre britannique, NDLR), que peut-on attendre d’autre ?

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